Le bilan carbone de la patinoire du Capitole : les calculs

Au cours de l’hiver 2019, un débat avait émergé à Toulouse : alors qu’il faisait 15°C, et qu’une patinoire d’extérieur avait du mal à ne pas se transformer en piscine de plein air, quel était le bilan écologique (et le sens !) d’installer une patinoire place du Capitole ? L’Atécopol avait été sollicité par un journaliste de France 3, afin d’obtenir notre point de vue sur le sujet. Nous avions fait quelques calculs pour estimer le bilan carbone, ou plutôt le bilan de gaz à effet de serre, de cette patinoire. Il en avait tiré un article que l’on peut lire ici. Vous trouverez ci-dessous le détail des calculs effectués, ainsi que quelques points de comparaison.

Hypothèses de travail

  • On suppose que la patinoire de 450 m2 reste 15 jours sur la Place du Capitole.
  • On suppose que l’ensemble du matériel n’est utilisé que deux mois dans l’année, et donc pour 4 prestations similaires à celle de Toulouse.
  • Pour le groupe froid, qui est loué, on a fait deux hypothèses : l’une favorable, l’autre défavorable : i) que le matériel n’est utilisé que pendant deux mois ii) qu’il est utilisé toute l’année. Les fuites de gaz et l’amortissement du groupe froid donnent donc lieu à une fourchette de valeurs.
  • On suppose que 20000 personnes patinent (chiffres de la Mairie).
  • On ne prend pas en compte les trajets des usagers, dont on suppose qu’ils sont venus en transport en commun au centre-ville et/ou ont mutualisé leur trajet avec d’autres activités.

Quatre postes ont été pris en compte et estimés pour le bilan carbone

  • La consommation électrique : On utilise le chiffre, fourni par l’entreprise, de 2 kWh/jour/m2, soit 83 W/m2. Dans un hiver plutôt doux, comme maintenant, ce chiffre augmente probablement. Il ne peut de toute façon pas excéder la puissance maximale délivrée par le groupe froid, qui est de l’ordre de 190 W/m2. L’intensité carbone de l’électricité utilisée est fournie par l’ADEME  :  57.1gCO2eq/kWh. 
  • Les fuites du gaz frigorifique : Le groupe contient 60 kg de gaz HFC134a ; on prend un taux de fuite annuel de 15% (chiffre ADEME ) et un facteur de 1300 pour l’équivalence (chiffre ADEME ) entre le gaz utilisé et le CO2 pour la contribution à l’effet de serre.
  • L’amortissement du matériel : Les chiffres suivants ont été utilisés, avec un facteur de conversion dépendant de la nature du matériel. a) Groupe Froid: HT 80000€, amorti sur 10 ans ; 0.7 kgCO2eq/€, correspondant à des machines. b) Tapis glacier et rembarde: HT 60000€ €, amorti sur 10 ans ; 0.6 kgCO2eq/€, correspondant à des produits métalliques. c) Charge d’eau glycolée: 5000l dilués à 40% cout HT 3000€ amorti sur 5 années ; 1.6 kgCO2eq/€, correspondant à des produits chimiques. d) Patins et accessoires: HT 35000€ amortis sur 3 ans ; 0.6 kgCO2eq/€, correspondant à du textile et/ou produits métalliques.
  • Le transport du matériel. Le groupe froid fait un voyage de 480 km (Toulouse-Montpellier AR) et le reste du matériel un voyage de 1660 km (Toulouse-Mulhouse) dans un camion. Les émissions associées sont de 1.18 kgCO2eq / km, en utilisant les données de l’ADEME.

Bilan gaz à effet de serre

Voici le bilan : 0.8 tCO2eq pour l’électricité, entre 0.5 et 2.9 tCO2eq pour le gaz frigorifique, entre 3.1 et 4.3 tCO2eqpour le matériel, et 2.5 tCO2eq pour le transport soit un total compris entre 6.9 et 10.5 tCO2eq. Si on les ramène par visiteur, on est entre 345 g et 525 gCO2eq/visiteur. A noter qu’en se focalisant uniquement sur la consommation électrique (ce qui avait été fait par quelques détracteurs de la patinoire), on passe à côté d’une grande partie des impacts, puisque l’électricité ne correspond qu’à environ 9% des émissions totales.

Quelques éléments de comparaison

L’empreinte carbone d’un français est actuellement de 30 kgCO2eq/jour et, selon les accords de Paris, ce chiffre devait descendre à 5.5 kgCO2eq / jour (2 tCO2 / an).

Si on raisonne à l’échelle de l’individu, les émissions attribuables à l’usager de la patinoire correspondent à la production d’environ 100g de poulet, par exemple. S’il choisissait de prendre l’avion pour aller passer ses vacances à New-York, par contre, cela correspondrait à plusieurs tonnes de CO2. Mais c’est un raisonnement un peu biaisé : la patinoire a été installée par la collectivité, et l’individu ne modifie pas vraiment son empreinte carbone en choisissant d’aller patiner (alors qu’il le fait plus clairement en choisissant de prendre l’avion ou de manger du poulet). L’empreinte carbone de la patinoire est plutôt à attribuer à la collectivité, et à un choix politique et collectif de société. La bonne question à poser est donc de savoir si, collectivement, nous souhaitons que notre métropole dépense de l’argent et induise ces émissions pour installer une patinoire accessible gratuitement sur la place du Capitole.

Si l’on raisonne donc plutôt à l’échelle de la métropole et des choix collectifs, ces tonnes de CO2 et cet argent devraient être comparés à d’autres choix collectifs et décisions politiques qui, par exemple font l’objet de débats ou de décisions à Toulouse ou dans d’autres villes. Par exemple :

  • La consommation électrique des guirlandes de Noël correspond à 2 tonnes de CO2eq (à noter que le bilan total est supérieur, car il doit inclure le matériel).
  • Faire venir un musicien de l’autre bout du monde pour un concert au Rio Loco correspond également à plusieurs tonnes de CO2eq.
  • Chaque écran de publicité numérique (qui fleurissent dans les gares, les rues, et derrière les vitrines des magasins) a émis pour sa fabrication plusieurs tonnes de CO2eq.
  • Chaque terrasse chauffée avec des bouteilles de propane émet, au cours de la saison, plusieurs tonnes de CO2eq (elles ont pour cette raison été interdites à Rennes).

On laissera chacune ou chacun conclure au vu de ces chiffres, et mettre dans une subtile balance les « sourires des enfants toulousains » (dixit J.-L Moudenc) et le bien-être des générations futures, afin de tenter de distinguer les activités « essentielles » et les activités « de luxe » que l’on ne peut décidément pas se permettre. Et sinon, dans une société sans pétrole et sans charbon, que ferait-on? Attendre que les lacs gèlent, ou bien comme à Montréal, faire une petite patinoire dans la rue! Il faut juste de l’eau et de l’huile de coude.